faculté de theologie
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Conférence FJC – Influenceurs vs Pasteurs

par | 5 Déc 2025

l y a quelques semaines, un trend sur les réseaux sociaux rappelait avec humour que 46% des hommes s’estimaient capables de faire atterrir un avion de ligne en cas d’urgence (contre 20% de femmes). Le sondage en référence révélait l’assurance surdimensionnée, et relativement comique, de ces « mâles alpha » dont on parle beaucoup ces temps-ci.
Tandis que les spécialistes jugent qu’en réalité, il est pratiquement impossible à une personne non formée de réaliser l’atterrissage d’un avion de ligne, même avec l’assistance du pilotage automatique et de la tour de contrôle1, la question se pose : cette prétention particulièrement masculine ne traduit-elle pas une forme de témérité tout humaine (20%
de femmes, quand même !) à laquelle nous devons impérativement être sensibilisés, sous peine de nous mettre involontairement dans des situations de danger, pour nous-mêmes et pour les autres ?
Des personnes non qualifiées, aux commandes de gros avions de ligne, j’ai l’impression d’en voir figurativement tous les jours sur internet !

L’émergence d’un nouveau pouvoir

La démocratisation des nouvelles technologies a ouvert de merveilleuses opportunités pour l’apprentissage du savoir et pour la confrontation des idées. En même temps, le développement quelque peu débridé de cet écosystème numérique a engendré un nouveau pouvoir échappant à toute structure traditionnelle de contrôle. Il s’agit de la capacité, offerte à pratiquement n’importe qui, d’acquérir un public important, à la seule condition de savoir bien maîtriser les outils. Un véritable métier, parfois très lucratif, est même né de cette réalité : le métier d’influenceur, comme on l’appelle avec perspicacité.

Ainsi, les tribunes sur internet qui parviennent à rassembler et à fidéliser un large public exercent un pouvoir d’influence conséquent. Métaphoriquement, ce sont des avions de ligne (ou en ligne pour être plus précis !) qui transportent beaucoup de passagers. Mais comment les personnes qui tiennent les commandes sont-elles arrivées à ce poste ? Qui leur a confié une telle responsabilité, et selon quels critères de formation, de qualification, de sélection ?

En France, on estime que les 15-24 ans passent en moyenne près de quatre heures par jour sur internet, dont plus de la moitié sur les réseaux sociaux. Les personnes qui contrôlent les contenus en ligne contrôlent l’esprit de toute une génération. Ce constat serait un peu moins inquiétant, si l’on pouvait avoir quelques garanties de la compétence des créateurs de contenus en tant qu’éducateurs. L’ennui, c’est que la compétence essentielle pour gagner l’attention en ligne est la compétence technique et non morale. Par conséquent, il arrive souvent qu’un énorme pouvoir soit confié à des mains peu qualifiées, par la seule vertu du marketing. Les réseaux protestants évangéliques ne font pas exception. Depuis une quinzaine d’années environ, plusieurs tribunes numériques ont acquis une véritable notoriété, s’installant solidement dans le paysage médiatique de nos milieux, revendiquant chacune leurs affinités théologiques ou culturelles. Sur le marché des blogs, des podcasts et des chaînes YouTube, les parts ont été distribuées, semble-t-il, entre charismatiques et non-charismatiques, baptistes et réformés, conservateurs et progressistes. Difficile de trouver une place, dorénavant, qui n’est pas déjà occupée !

L’Église locale, structure voulue par Jésus

On peut se réjouir de l’accessibilité de nombreux contenus de tous bords théologiques.

Toutefois, cela présente un sérieux problème. C’est que les institutions voulues et instituées par le Seigneur pour le soin des âmes peuvent aisément être court-circuitées, volontairement ou involontairement, et cela, au péril des âmes, justement. Le Seigneur a établi l’Église comme colonne et appui de la vérité (1 Timothée 3.15) ; et il a confié les « clefs du royaume » à cette institution et à nulle autre. En effet, le pouvoir de l’enseignement, assorti du pouvoir de la discipline, est exercé selon l’ordre de Christ par le ministère des pasteurs-anciens, qui sont les surveillants (les « évêques ») de la bergerie, nommés par le souverain Berger. Or, ces conducteurs qui veillent au bien des âmes (Hébreux 13.17) doivent être appelés par le Seigneur lui-même, et nommés, consacrés et installés dans les Églises locales, selon des critères de sélection précis et exigeants (cf. 1 Timothée 3.1-7 ; Tite 1.5-9). Ordinairement, ce processus de nomination de responsables se fait avec la pleine participation des membres des Églises. Les ministres de l’Église ne sont jamais, en principe, parachutés dans la communauté. La reconnaissance de leur appel et de leur légitimité passe normalement par un ancrage local, une « ancienneté » littérale, une forme de mise à l’épreuve, la manifestation du caractère sous diverses circonstances, sans oublier d’éventuelles formations spécifiques ainsi que le scrutin démocratique de l’assemblée.

Les ministres, ensuite, sont soumis à des instances de contrôle, que ce soit l’assemblée elle-même dans un système congrégationaliste, ou le conseil des anciens, voire un synode dans un mode de gouvernance presbytérien. Pour le dire simplement : un pasteur dûment nommé à sa fonction qui se fourvoierait depuis la chaire le dimanche matin, ou dans l’accompagnement spirituel d’un membre de son Église, devrait, en principe, rapidement rencontrer un garde-fou sur sa route pour le corriger. Et cela, en principe toujours, devrait garantir aux membres de l’assemblée une certaine sécurité.

Quelle régulation sur internet ?

Sur internet, par contre, on peut facilement se dispenser de toute structure de contrôle. On peut créer sa tribune tout seul, ou entre copains, et monter de toutes pièces son propre comité éditorial (si l’on choisit d’en avoir un). On n’est pas obligé de passer par un processus d’accréditation ; il n’y a ni examen, ni entretien, ni diplôme, ni règlement, ni code de déontologie. Aucune redevabilité n’est imposée.

Certes, on peut espérer que les créateurs évangéliques de contenu soient membres d’Églises locales fidèles, ce qui leur donnerait au moins personnellement, par ce biais, une structure encadrante. Mais en réalité, il est rarement possible aux internautes de le vérifier. De plus, il suffit que le créateur de contenu en question soit lui-même responsable d’une petite Église indépendante, avec seulement un ou deux vis-à-vis qui soient des anciens avec lui, pour que ce créateur, en cas de « décollage » de sa tribune numérique, se retrouve (volontairement ou involontairement) principal voire unique capitaine à bord, installé dans un siège de pilote trop grand pour lui, avec peu de comptes à rendre à qui que ce soit.

On pourrait imaginer que le système s’autorégule, à la manière supposée d’une économie fondée sur le libre-échange. Dans cet espace de liberté qu’est internet, la conscience et les scrupules du public remonteraient ainsi plus ou moins naturellement en direction des créateurs par le biais des « j’aime/je n’aime pas », des statistiques et des algorithmes.

Finalement, ce serait une sorte de congrégationalisme appliqué à internet : les abonnés constitués en assemblée virtuelle assumeraient les fonctions de la tour de contrôle, en manifestant leur adhésion, ou à l’inverse, en snobant les contenus.

En réalité, cette autorégulation ne peut pas réellement fonctionner, car la relation du public (largement anonyme et disséminé) avec les créateurs de contenu ne ressemble en rien à la relation des membres d’une Église avec ses ministres. Sur internet, l’utilisateur est, de fait, un type de consommateur ; par conséquent (et presque par définition), le système va naturellement tendre à récompenser les créateurs pour leur capacité à satisfaire les désirs de ce consommateur. Il se trouve qu’internet offre le cadre idéal pour que s’accomplisse cette parole de l’apôtre Paul : « Aimant qu’on leur chatouille les oreilles, ils chercheront des docteurs qui répondent à leurs désirs » (2 Timothée 4.3, Bible Martin).

Le marketing : une opportunité et un danger

Que les auteurs évangéliques de blogs, de podcasts et de chaînes YouTube le veuillent ou non, ce n’est pas d’abord la substance de leur contenu qui va attirer l’attention du public, mais d’abord leur stratégie de communication. La maîtrise de certains outils et de certains codes permet de gagner de la visibilité presque mécaniquement ; l’augmentation de la visibilité donne implicitement de la crédibilité aux contenus ; et au moyen d’une exploitation habile de ce processus, la marque finit par jouir d’une solide notoriété. Or, dans ce schéma, la notoriété ne repose pas d’abord sur des critères de fond, mais bien de forme. L’effet pervers que cela produit, c’est que les créateurs peuvent s’estimer justifiés par leurs statistiques, plutôt que par l’orthodoxie de leurs contenus. De plus, lanotoriété de la marque confère à ses propriétaires un véritable pouvoir d’adoubement, en concurrence avec le processus ecclésial de consécration au ministère. Les créateurs évangéliques qui ont « réussi » se trouvent en position d’octroyer une partie de leur pouvoir d’influence à d’autres acteurs (souvent des amis) qu’ils jugent dignes, et cela, de façon tout à fait indépendante des structures ecclésiales.

C’est ainsi que, métaphoriquement, on a remis les commandes de gros avions de ligne à des personnes peu qualifiées, ou en tout cas, dont les qualifications n’ont pas été proprement examinées. On a créé une situation où des conducteurs hors-sol se sont accaparé un pouvoir d’influence sur les esprits de nombreux membres de nos Églises (le plus souvent sans aucune mauvaise intention, et avec notre entier consentement). Ces conducteurs exercent un pouvoir qui ressemble en certains points au pouvoir spirituel du ministère de la Parole, mais en réalité, ils exercent ce pouvoir en free-lance, ce qui est fondamentalement contradictoire avec le ministère de la Parole tel que Dieu l’a voulu. Le véritable ministère de la Parole, qui modèle les consciences, qui « lie et délie » les âmes pour l’éternité, qui proclame la vérité au monde, s’exerce sous le couvert de l’institution sacrée que Jésus a établie, à savoir son Église, et avec son autorisation formelle ; cette institution existant principalement dans notre expérience sous la forme de l’Église locale (Éphésiens 4.11-16).

Les ministres de la Parole que nous devons écouter et suivre en priorité sont ceux qui ont été dûment examinés, accrédités et mandatés, qui sont eux-mêmes soumis à une autorité spirituelle, qui ne font pas que diffuser leur savoir, mais qui sont solidaires des joies et des peines quotidiennes de leurs frères et sœurs, qui sont engagés dans le soin pastoral ordinaire, pratique et souvent complexe de ces mêmes frères et sœurs, et qui assument les principes de la discipline ecclésiale pour eux-mêmes et pour les autres.

En conclusion, un certain recul s’impose ! Oui, c’est une véritable chance d’avoir accès à tant de ressources, librement, sur internet. Mais rappelons-nous que les voix qui nous semblent importantes, les noms qui nous paraissent s’imposer comme des références, les tribunes auxquelles nous accordons notre attention, ne sont parfois que des mirages numériques. Gare aux apprentis-sorciers à qui nous avons donné de la notoriété, et par conséquent du pouvoir, et qui commencent peut-être à se croire capables de faire atterrir l’avion sans dommage pour les passagers, alors qu’ils n’ont été ni formés, ni missionnés pour cela. Attention à qui nous laissons s’installer dans le cockpit. La célébrité numérique n’est en aucun cas un gage de qualification spirituelle. « La gloire ne convient pas plus à un homme stupide que la neige en été ou la pluie pendant la moisson. » (Proverbes 26.1)

Alexandre Sarran, vice-président de la FJC, pasteur à l’église Lyon Gerland

 

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La conférence FJC 2026 : La Parole à l’ère des réseaux sociaux

Lors de ce weekend de théologie des 13 et 14 mars 2026, nous parlerons donc de notre usage de la parole sur les réseaux sociaux. Mais de quelle « parole » s’agit-il ? La nôtre ou celle de Dieu ? Notre parole ou sa Parole ? Et bien des deux en fait. Sa Parole devrait modeler notre parole ! L’enjeu est de taille ! Ce qui est en jeu, c’est notre témoignage en ligne mais aussi la manière dont les enfants apprennent à parler, à vivre. L’enjeu est celui de nos addictions à des outils qui s’emparent de nous et de la manière dont la parole prêchée peut même être défigurée. Il est question de notre évangélisation sur les réseaux. Il est aussi question de la manière dont la culture dans laquelle nous vivons nous transforme à son image si nous ne sommes pas transformés par la Parole de Dieu. Venez réfléchir avec nous, prier avec nous, pour ensemble ressembler de plus en plus au Dieu de la parole qui nous appelle à être ses témoins, partout, en toute occasion !

Les inscriptions sont ouvertes !